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SOS Sekolah
12 juin 2006

Témoignage du séisme... Le déclic pour réagir!



Nous (Pauline, Mathias ainsi que Damien) avons été présents à Yogyakarta pendant le séisme… Voici le récit de ce que nous avons vécu ces quelques jours, intenses en émotions, en excitation aussi de par notre passion pour les risques naturels dont nous faisons petit à petit notre métier, en désarroi aussi… En espérant que cela vous permette d’entrevoir ce qu’a pu être la souffrance des gens qui ont tout perdu, à travers le récit de personnes qui n’ont rien perdu… à multiplier donc par 1000… C’est aussi cette expérience qui nous a décidé à participer activement pour aider les victimes du séisme…

" Ce n'est que rentrés à Jakarta que nous pouvons vous donner des nouvelles de cette aventure tragique... tout a été tellement vite, que nous avons du mal à savoir par où commencer... vous avez du nous voir au journal télévisé de France 2, donc vous savez déjà beaucoup de chose du tremblement de terre...

Ca va venir comme ça, peut être un peu décousu... tout nous parait encore bouillant dans nos têtes, mais on décompresse petit à petit de tout ce stress, cette ambiance de peur, de bordel, d'effervescence de toute une région, ce méli-mélo de personnes si différentes, mais toutes rapprochées et unies dans la résistance face aux forces naturelles... et nous pouvons vous dire que la nature s'est manifestée par chez nous, depuis ce samedi 27 mai 2006...


5h53... un grondement sourd et intense nous réveille, suivi immédiatement par des secousses : tout semble ne plus être solidaire du sol, tout tremble et monte, descend, à droite à gauche…la chambre se secoue, "les murs comme du carton pâte"... cela dure 10 secondes, 30 peut être… assez longtemps en tout cas pour avoir la peur de ma vie (Po), mais Math est resté zen et rassurant... Dans notre tête nous pensions que cela venait du Merapi, une explosion, peut-être une nuée ardente : sortir ? Non, mieux vaut rester... la fenêtre !! elle s’ouvre... le cœur qui bat la chamade, notre propre tremblement venant se rajouter à la confusion du moment... Soudain tout s’arrête, on bondit du lit, on ouvre la porte, Damien est déjà dans le couloir, on rassemble nos affaires en vitesse (les ordinateurs), et on sort en courant : dehors, tous les voisins sont déjà dans la rue, apeurés, mais pratiquement aucun dégâts apparents à part quelques fissures sur le mur du voisin... Tout de suite on regarde en direction du Merapi, et on voit qu’un awan panas est parti du sommet... Pas d’explosion, mais on ne peut pas conclure sur ce qui s’est passé... Ca peut venir de là haut, le tremblement a déclenché la nuée, ou sinon, c’est la nuée qui a déclenché un tremblement… Nous en tout cas, on est encore (enfin moi surtout) tremblants, se réveillant et prenant conscience petit à petit de ce qui vient de se passer… rapide état des lieux de la maison… quelques fissures, les joints du carrelage ont sauté…. Soudain (vers 7h), des cris dans la rue et des rumeurs qui montent : « tsunami !! tsunami !! », accompagnées des ronflements de moto, de cris de panique : dans la rue, les gens courent pieds nus vers le nord, ou montent sur leur moto en pyjama, jusqu’à 5 personnes (photo), terrorisés par les souvenirs d’Aceh qui refont brusquement surface... Nous on ne fait ni une ni deux, on embraquent nos sacs, on prend les bikes, et ont va jusqu’au carrefour du Galeria pour voir ce qu’il se passe : scènes de panique, plein de gens apeurés dans la rue, les feux rouges ne fonctionnent plus, des flics sont là pour faire la circulation : tout le monde va dans tous les sens, des femmes pleurent sur le trottoir, d’autres prennent un becak et partent... On demande des informations à un gars avec son sifflet qui aide à faire la circulation, il nous dit qu’il n’y a pas de tsunami, qu’il faut garder note calme : d’ailleurs, des truck de police font leur apparition et à l’aide d’un mégaphone, ils diffusent des messages pour rassurer les gens : « on a reçu un coup de fil de Parangtritis (sur la côte), il n’y a pas de tsunami, gardez votre calme, roulez lentement, restez chez vous », enfin, pour ceux qui ont encore une maison... car on ne le sait pas encore à ce moment, mais les dégâts vers le sud sont bien plus grands... On décide de partir vers le sud, pour voir ce qu’il se passe, et voir s’il ne va pas y avoir de tsunami (Damien fait partie du projet Tsunarisque d’Aceh de Franck Lavigne notre professeur de géographie physique à l’Université Paris1 Panthéon Sorbonne et directeur de thèse) : sur la route, les dégâts sont de plus en plus grands : les ponts déstabilisés, des maisons effondrées, une université sur la Jl.(rue) Parangtitis sur le point de s’écrouler (photo), et c’est pire lorsque l’on arrive au niveau de Bantul et Imogiri... Des centaines de personnes se réfugient le long de la route, perdues, déjà, on entend les sirènes des ambulances, on croise des véhicules de police, de l’armée aussi (en fait, ils étaient tous mobilisés depuis un mois pour l’évacuation du Merapi)... Pas de chance, Damien n’a plus d’essence… mais pas moyen d’en trouver, toutes les stations sont en panne, et tous les petits vendeurs au bord de la route sont dévalisés par tout ceux qui veulent partir : « habis » (vide, terminé). On arrive à Parangtritis, les dégâts sont moins importants, sûrement grâce au fait que le village soit construit sur le cordon dunaire qui a dû absorber les vibrations et ainsi épargner les maisonnettes pourtant pas plus solides qu’ailleurs. Tout est vide : une ville fantôme… On monte sur la colline, et on constate que tout le monde s’est réfugié là-haut au cas où un tsunami surviendrait... du coup, on décide de se poser là et d’attendre... 1h...2h... on a eu le temps de ressentir 3 répliques du tremblement (photo), de quoi nous remettre un petit coup de stress... Finalement on rentre à Yogya, pas rassurés (la moto de Damien a tenu jusqu’à la maison, un miracle...), le temps de choper de bons de coups de soleil, et on fait une petite sieste, mais juste devant la porte au cas où... en ressortant en fin d’aprem, on va faire un tour : tout est fermé, l’eau et l’électricité sont revenues dans notre quartier, mais les connections téléphoniques et Internet sont encore interrompues… On fait des réserves d’eau et de bouffe dans un des rares warung d’ouvert, on réussit a trouver de l’essence au cas où l’on devrait déguerpir en vitesse, et on rentre pour préparer « l’état de siège » de la nuit qui commence à tomber : 1. on met notre matelas devant la porte d’entrée, qui restera ouverte cette nuit, 2. on garde les casques de moto à côté du lit, 3. on dort habillés au cas où, 4. nos sacs sont bouclés et prêts à une évacuation rapide des lieux, 5. lampe de poche et portable autour du cou en cas de panne…. On va manger des sate ayam (brochettes de poulet) pas terrible à l’un des rares warung d’ouvert et on rentre se coucher… Sur le chemin, on voit que les habitants sans logis ou ayant peur de leur propre maison, se sont organisés et ont construit des tentes avec des bâches, ont mis des matelas et dorment dessous à plusieurs familles... très difficile de dormir aussi pour nous avec un toit au dessus de la tête, le moindre bruit nous fait sursauter, d’autant plus que dehors il y a de l’orage qui gronde et ressemble étrangement au son du tremblement de ce matin... La maison plongée dans l’obscurité est inquiétante, nous sommes encore les yeux écarquillés plus d’une heure, sur le qui-vive, sensibles au moindre tressautement, avant de finalement se laisser envahir par le sommeil...


28/05

Ayant appelé un copain, Sébastien de Jakarta travaillant à l’AFP, les radios (RTL, France Soir, RMC) m’ont appelée pour avoir mon témoignage et un point sur la situation, car la plupart des journalistes étrangers peinent à atteindre Yogyakarta : avions déroutés sur Solo ou  Semarang car l’aéroport de Yogya est détruit et trains blindés... d’ailleurs, nous ne trouvons pas de transport pour rentrer à Jak… France 2 qui nous avait aussi contactés arrive aujourd’hui, (deux journalistes : Philippe Rochot et Sylvain Giaume) et nous leurs proposons de les héberger et de les guider pour faire leur reportage et donc de retarder notre retour : nous devenons ce que l’on appelle « des fixeurs », pour les journalistes, et en passant des « traducteurs »... dès l’après midi, nous les emmenons sur le terrain, en commençant par Prawirotaman, complètement ravagé par le tremblement : l’hôtel Agung (photo), où nous avons l’habitude de descendre, est détruit : un frisson nous parcourt : on a faillit y habiter cette semaine au lieu d’aller chez Damien... nous nous approchons de la chambre où nous avons l’habitude de dormir…dévastée : des pavés et un enchevêtrement de poutrelles en bois et des tuiles jonchent les lits, l’armoire est cassée (photo): on se rend compte de la violence extrême qui a du secouer ce château de cartes affaissé... C’est horrible, on est très tristes de voir ce petit paradis complètement anéanti... heureusement les gens que l’on connaît vont bien, mais il y a eu quand même 10 morts dans ce quartier...

Le reportage a pour fil conducteur la visite de Mathias et Damien, deux étudiants géographes français...

C’est très intéressant, car nous pouvons voir comment les journalistes opèrent, le travail et la rapidité que demande l’élaboration d’un reportage. Le soir, ils ont un « faisceau » de 5 minutes pour envoyer par satellite leur reportage monté en quelques heures (parabole installée pour l’occasion sur le parking de l’hôtel Saphir et financée en communauté par toutes les chaînes européennes pour pouvoir diffuser les reportages de leurs envoyés spéciaux). Il passera au journal de 20h en deuxième position…


29/05

Couchés à 1h30, levés 5h30 pour partir sur le volcan : aujourd’hui c’est moi (Po) qui vais guider le reportage dans les kampung du volcan pour montrer qu’un autre danger menace sournoisement les habitants de Java Centre : le Merapi... interviewée plusieurs fois, on a eu la chance de tomber par hasard sur mon ami Pak Widi Sutikno qui coordonne les secours avec le SATLAK au posko Utama de Pakem… d’après lui, pas de danger avec le Merapi… Mais pourtant, depuis qu’on a quitté la maison, s’enchaînent plusieurs très grosses nuées ardentes et des panaches qui s’élèvent vraiment haut dans le ciel … Pas rassurés, mais excités et pris dans le mouvement vers le nord, nous nous dirigeons jusqu’au village au nord ouest de la zone, le long de la kali krasak qui canalise généralement les nuées : les gens sont au villages pour travailler, les femmes et les enfants continuent cependant de rentrer se réfugier au camps de Wonokerto le soir (mais ce sont les seuls du kabupaten Sleman). Des cendres sont dans l’air, on interview quelques femmes, mais on ne traîne pas longtemps dans ces lieux inquiétants. On va jusqu’au Pos vulkano de Kaliurang pour voir le sismographe : effectivement (voir photo), l’activité du Merapi semble avoir nettement repris depuis le tremblement de terre… Je passerai finalement au journal de France 2 de 13 et 20h...

D’après plusieurs mises en garde de proches, et appel de Manu du BMG de Jakarta pour avoir d’autres informations, (il me dit qu’à ma place, il ne ferait pas long feu ici, qu’un ami à lui vulcanologue lui a dit qu’il y avait de gros risques d’explosion, et peut être aussi que Yogya pourrait être rayée de la carte…) … Tout cela, et nos propres observations, notre peur aussi d’une autre catastrophe….c’est décidé, demain, on rentre !!! Internet est revenu… il pleut, et les gens peinent à rester dormir dehors, mais la peur d’un autre tremblement est plus forte… nuit encore stressée...


30/05

On passe la journée avec Shieni, ma copine originaire de bantul qui vient d’arriver de Jakarta le matin,  je l’emmène voir sa famille qui va bien, mais la maison de son grand père a été détruite… on rejoint Mathias, Philippe, Sylvain et Damien au poste de coordination de Bantul pour commencer le reportage... on va jusqu’à Imogiri, la ville la plus touchée, pour retrouver un groupe de pompiers sans frontières français, mais les recherches de victimes sont très difficiles : les habitants sont parfois les seuls indicateurs des endroits pas encore fouillés : la coordination des secours est assez anarchique, et il leur est difficile d’intervenir : ils savent qu’à tout casser, ils sauveront une dizaine de personnes... 6000 sont déjà mortes, 100 à 200 000 personnes n’ont plus de maisons... c’est très difficile et choquant de voir ces gens désespérés dans les ruines de leurs propre maison où il y a quelques heures à peine, un des leurs est mort… on rencontre un jeune père avec son bébé dans les bras : il pleure chaque soir, il veut téter… sa mère est décédée enfouie dans sa maison qui s’est écroulée sur elle... cet homme veuf a du mal à dissimuler sa tristesse et sa détresse : ce sera dur d’assumer d’élever son enfant et de travailler en même temps... les larmes me montent et je préfère caresser la joue son bébé pour calmer ses hoquets... on veut les aider : mais que faire ??? On est là à les filmer, à leur poser des questions, on ne peut pas savoir ce qu’ils ressentent... c’est affreux...

Notons que de très nombreux bénévoles, associations, ONG locales, de nombreux étudiants, dont mon ami Coco de Maîtrise, et aussi des personnes peu touchées par le séisme sont là pour mettre la main à la pâte et la mobilisation spontanée est très forte, bien que manquant de coordination : du coup je ne pourrai même pas voir Coco, juste eu à peine 2 min au tel, car la connexion était pourrie et nous a empêcher de fixer un RV...

Les journalistes nous ont payés pour notre travail, mais nous étions un peu gênés d’accepter, car nous l’avons fait sans se poser de questions, par passion... on ne se voyait pas quitter les lieux comme ça, il fallait tout simplement qu’on fasse quelque chose... En plus c’était super intéressant de les suivre, de voir des techniques de reportage... le seul petit hic, c’est la rapidité que nécessite ce métier… Cela me gêne un peu, car j’ai besoin de vraiment rencontrer les gens, d’instaurer un climat de confiance et un vrai échange avec eux, avant de leur demander quelque chose, de les interviewer. Pendant ces quelques jours, nous faisions un petit peu le « tampon » entre les journalistes qui avaient des impératifs de rendus à l’image, de temps, qui étaient parfois un peu secs avec les gens par professionnalisme (ce n’est pas leur premier tremblement de terre : ils sont moins choqués de ce qu’ils voient, et d’autre part il faut aller vite, car la concurrence est rude) et les gens, qui voulaient bien participer, mais qui vivaient un cauchemar en même temps...

Nous avons donc pris le train pour Jakarta... encore dans le train, l’état d’esprit d’alerte par rapport aux bruits et aux tremblements était toujours présent...


Nous avons vraiment vécu une aventure, des émotions allant de la peur à l’excitation en passant par la compassion et la tristesse... Nous sommes maintenant dans notre bulle rose à Jakarta, et on se sent presque mal d’être rentrés : soulagés d’un côté d'avoir fuit un endroit inquiétant, car on va pouvoir dormir plus tranquillement (quoique...), mais d’un autre côté, la pression redescend, l’excitation fait place à un certain vide, qui ne parviendra pas à être comblé par un quotidien, qui de France peut paraître génial et excitant, mais qui vu d’ici, ne peut égaler le degré d’électricité de cette semaine à Yogya… la douce et blessée… Notre cœur est encore là-bas, et on se sent un peu lâches d’être partis, et de laisser tout le monde à la merci du volcan sans rien faire... Nous avons rencontré des gens géniaux sur le terrain Merapi, et craignons maintenant pour eux, impuissants ici de les prévenir de quoi que ce soit... mais avec ce fichu manque de peur aussi... difficile de lutter contre autant d’assurance..."

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